(Traduction libre de l’anglais au français à partir de cet article d’Elizabeth Brico publié le 10 juin 2019 dans Filter Magazine.)
Genelle Chaconas ne peut passer un jour sans caféine. Les « caféine-heads » consomment ce puissant stimulant sous la forme de « café » – un breuvage psychoactif dérivé de la cuisson de fèves d’un arbuste exotique poussant en Amérique Latine et en Afrique. Ces personnes consomment une tasse du breuvage chaque matin, puis répètent le rituel plusieurs fois tout au long de la journée.
Sans cela, dit Chaconas, ces personnes ont de la difficulté à se concentrer et deviennent colériques. « Les gens se mettant entre moi et le café ne vivent pas assez longtemps pour pouvoir le raconter », admet Chaconas. Des affirmations violentes comme celles-là sont fréquentes chez les « caféine-heads » – bien que plus de recherches puissent être nécessaires pour prouver le lien de causalité entre la caféine et des tendances meurtrières.
C’est probable que Chaconas, une écrivaine expérimentale et poète basée en Californie, a été exposée à la caféine par le monde des arts. C’est assez commun chez les poètes et gens littéraires de se rassembler pour lire à voix haute leurs créations. Ces rassemblements, appelés « micro ouvert », peuvent sembler inoffensifs, mais se tiennent généralement dans des « cafés » – des établissements dévoués au trafic de breuvages hautement caféinés.
En plus, ces boutiques coupent généralement le café avec du sucre et des saveurs pour rendre leurs produits plus attrayants pour les jeunes. Certains pushers de caféine – connu sous le nom de « barista » – ajoutent même parfois des motifs accrocheurs visuellement sur une mousse recouvrant le breuvage, comme des cœurs ou des fleurs, pour inciter les consommateurs à partager des images de leurs produits sur les réseaux sociaux.
Chaconas a la publication de son premier roman prévue pour plus tard cette année par le « Journal de fiction expérimentale ». Ces derniers ne diront pas à quel point le manuscrit a été influencé par la caféine, mais étant donné les dévoilements volontaires de Chaconas quant à son utilisation quotidienne de la substance, ce livre sera certainement catégorisé comme de la « fiction de caféine-head ».
Ce n’est pas que les personnes au style de vie bohémien qui subissent cette drogue. L’abus de la caféine est présent chez des personnes de tous les domaines ou milieux de vie. On croit même que ça pourrait être un « must » chez certaines personnes du milieu médical, qui l’utiliseraient pour rester alertes lors de longs shifts.
Les taux en hausse vertigineuse de dépendance à la caféine partout à travers l’Amérique peuvent nous permettre avec raison de parler d’épidémie. Quelque chose est brisé dans notre société pour que des millions de personnes ressentent le besoin de s’auto-médicamenter de cette manière.
Stéphanie, qui a demandé que son nom de famille ne soit pas utilisé, est la coordinatrice d’un programme de pairs dans le « AIDS committee » de Windsor. Elle dit que le café est son « élixir de vie ». Sans lui, elle souffre de maux de têtes, de sauts d’humeurs et de fatigue.
Les symptômes de dépendance décrits par Stéphanie et Chaconas sont typiques. La caféine altère les émotions et le mode de vie, menant fréquemment vers une consommation quotidienne, obsessive, demandant des doses plus fortes et toujours plus fortes pour arriver aux effets des premières fois. Tant Stéphanie que Chaconas disent qu’elles ont essayé de réduire leur consommation, mais ont été incapables de briser ce qui est devenu pour chacune d’elles une dépendance chronique, avec de continuelles rechutes.
Dans le cas de Chaconas – dans un exemple parfait pouvant servir d’avertissement à toute personne tentant de guérir de sa dépendance sans aller vers une abstinence totale – ses essais à boire progressivement moins de cafés l’ont simplement mené à un autre produit de la caféine, « l’espresso ».
« Espresso », est une version très puissante et concentrée du café, qu’on voit se répandre de plus en plus partout au pays. Les personnes consommant régulièrement des formes moins puissantes du café, qui n’ont pas encore développé la tolérance nécessaire, peuvent se retrouver à éprouver plusieurs effets secondaires en l’essayant.
Des symptômes de surdose de caféine peuvent inclure des palpitations cardiaques, de l’anxiété, des tremblements et un sentiment d’agitation constante. Une étude sur l’utilisation de caféine pour les personnes enceintes a découvert des hauts risques de fausses couches. L’utilisation en croissance de l’espresso, qui vient souvent sous la forme d’une poudre brune moulue très finement avant d’être infusée, mène plusieurs personnes expertes dans le domaine à craindre à des expositions accidentelles à la substance.
La caféine peut aussi être consommée de plusieurs autres manières que les différentes sortes de café – plusieurs étant publicisées de manière troublante en visant les jeunes, dont le cerveau en développement peut rapidement être pris en otage par cette drogue. On peut la retrouver dans différentes liqueurs, « boissons énergisantes », en comprimés et même dans certaines friandises. Il a aussi été vu que la substance pouvait être retrouvée dans du chocolat – un favori des enfants. Certains jeunes vont même parfois faire passer à leur classe entière des gâteaux ou bonbons coupés de caféine comme manière de célébrer des occasions spéciales, par exemple un anniversaire.
Des parents ou même des personnes enseignant à nos enfants peuvent voir la consommation occasionnelle de caféine comme « normale », mais l’exposition infantile mène généralement à l’abus tout au long de leur vie d’adultes.
Par exemple, Chaconas et Stéphanie disent toutes deux avoir pris leur premier hit de caféine lorsqu’elles étaient enfants. Stéphanie dit même que c’est sa propre grand-mère qui lui administrait des micro-doses lors de ses visites alors qu’elle était pré-adolescente. À l’école secondaire, elle a commencé à infuser elle-même la substance.
Acause de son statut légal – bien que certaines personnes réclament une régulation plus stricte – l’utilisation de caféine est minimisée et normalisée. Mais la réalité est beaucoup plus sinistre. Plusieurs « caféine-heads » se retrouvent à organiser une bonne partie de leur journée en fonction de leur utilisation de cette drogue, avec des machines de plus en plus élaborées pouvant permettre de prérégler le café à l’avance pour qu’il soit immédiatement prêt pour la consommation lorsque la personne se réveille.
Chaconas admet transporter son café dans un contenant portatif hermétique et régulant la température, pour pouvoir l’emmener au travail et consommer tout au long de la journée. Les « caféine-heads » admettent aussi à souvent faire pression sur les personnes qu’elles invitent à la maison pour qu’elles consomment leur café – typique de la manière dont la distinction entre être dealer ou une personne utilisatrice de la substance peut être floue.
La dépendance à la caféine de Chaconas a maintenant envahi sa vie au point qu’elle socialise maintenant essentiellement avec d’autres « caféine-heads ».
« Ce sont les seules personnes que je connais maintenant », dit-elle sombrement. « C’est fou lorsque je rencontre quelqu’un qui ne boit pas de café. Comment elle fait pour avoir de l’énergie pour la vie de tous les jours ? »